L’homme
Il n’est pas un montagnard au sens habituel du terme: il n’y habite pas et n’y cherche pas l’exploit qui lui permet de se surpasser. On est loin des exploits de Russel, de Ramond , de Béraldi et autres et pourtant il leur ressemble à bien des égards et pense peut-être à eux dans sa conception du « pyrénéiste complet » qu’il applique à Ramond : « Il a aimé la montagne avec ses yeux, avec son cœur, avec ses muscles. Poète et savant, artiste et grimpeur, il les a gravies, scrutées , analysées, auscultées, autant qu’il les a desssinées, célébrées et chantées. »
Ritter est d’ici et d’ailleurs. Par son grand-père , il est Alsacien (Ritter : le chevalier ou cavalier) , du côté maternel il est Bordelais et Palois , mais il ne parle pas le béarnais.. Très tôt orphelin de père, la mère et le fils unique se replient sur Pau car Ritter est atteint d’une grave maladie, la tuberculose. Cette santé chancelante, qui lui laissera une gêne respiratoire permanente, l’empêchera de combattre en 1916 alors qu’il s’est porté volontaire.. Certains pensent que c’est cette lutte contre une terrible maladie, qui lui forgera une volonté de fer mais aussi le portera à aimer plus que tout le milieu pyrénéen qui l’a sauvé, agissant pour lui en reconnaissance de sa guérison. Il ne partira pas chercher fortune à Paris comme beaucoup de Méridionaux. Après des études de droit à Bordeaux, il sera avocat au barreau de Pau.
L’oeuvre
Il serait sûrement lassant d’énumérer toutes ses activités d’érudit, d’historien, d’archéologue et même d’architecte car le grand oeuvre de sa vie est la restauration du château de Morlanne une quasi- ruine qui va engloutir une bonne partie de la fortune du ménage. Son amour pour Morlanne n’est pas exclusif et il oeuvre pour sauver du patrimoine local comme les remparts de Navarrenx, le parlement de Navarre à Pau et fait acquérir le château de Laas et ses collections par le département des Basses-Pyrénées.
L’Homme est aussi peintre, romancier, poète, photographe et …amateur tauromachique. Journaliste, il alimente avant-guerre les chroniques de journaux parisiens comme l’Illustration et « Noir et Blanc » mais aussi collabore à « L’Indépendant des Basses-Pyrénées ».Il se lie également avec le célèbre éditeur palois « Marrimpouey ».
La revue Pyrénées
Ritter prend la suite du Bulletin pyrénéen en 1950, succédant à Le Bondidier et à Margalide sa femme, tous deux créateurs et animateurs du Musée pyrénéen du château-fort de Lourdes. Il va donc créer « Pyrénées » et s’y investit totalement écrivant nombre d’articles si ce n’est tous sous divers pseudonymes. Rien de ce qui touche à la chaîne n’est étranger à « Pyrénées » et Ritter y voit un tout global: c’est une entité non seulement française mais aussi espagnole, n’oubliant jamais les deux versants de la chaîne.
Toutefois, le monde change, la société montagnarde évolue.alors qu’elle paraissait immuable Ritter était comme beaucoup d’autres montagnards de bonne volonté, le porte-parole de ces groupes de pression qui préconisaient alors les équipements touristiques lourds, le développement des routes d’altitude et des liaisons automobiles toujours plus nombreuses, les stations de ski, la multiplication des refuges et même l’illumination du cirque de Gavarnie.
Le Parc national
En 1950, un article de Yves Colin, journaliste à l’éclair, paraît dans la revue de Ritter. Il rend compte de l’assemblée, tenue à Pau, par les sections de Sud-Ouest du CAF qui se réjouit du projet du parc national de Cauterets. En fait, il s’agit de protéger les gaves de Cauterets de l’ogre EDF mais aussi faune et flore dans la zone vide de population tout en aménageant une zone périphérique habitée où la vie agro-pastorale serait maintenue et encouragée. Ritter se trouvait ainsi en porte-à-faux car il était d’une génération qui voulait sauver les gaves de Cauterets mais aussi continuer l’extension du réseau routier. D’un autre côté on approche de 1968 avec la montée des extrémistes, ceux qui veulent retourner à l’état de nature et y effacer la trace de l’Homme. En humaniste averti mais réaliste, Ritter prend en compte ces évolutions et s’engage aux côtés de ceux qui militent pour le Parc, des élus et l’ingénieur des Eaux et Forêts Pierre Chimitz qui affronte, lui, les difficultés sur le terrain et les assemblées « houleuses ». L’opposition n’est pas mince car en fait, Ritter avait sous-estimé la susceptibilité de la population montagnarde et les contraintes locales comme la personnalité des vallées souvent antagonistes, la culture du refus face au pouvoir central très ancrée en Bigorre et en Béarn, la gestion des forêts et estives par des commissions syndicales valléennes très anciennes, la pratique de la chasse fortement ancrée dans la culture montagnarde et enfin les nombreux projets d’infrastructures qui concernent les zones que l’on veut protéger. Certains voient dans cette hostilité au projet du Parc la dernière manifestation d’indépendance des montagnards pyrénéens mais faut-il laisser échapper une manne touristique vers des régions concurrentes comme l’Ariège? Les grands travaux hydro-électriques s’achèvent et peut-être pourra-t-on freiner l’exode rural ?
Le parc sera créé le 23 mars 1967 avec Chimitz comme premier directeur mais comme toute création sujette à révision, il lui faut des soutiens car il a de nombreux détracteurs. C’est ce que comprendra Ritter qui créera en 1970, l’Association des Amis du Parc national dont il sera le premier et bref président.
Ritter influença-t-il la création du Parc? Bien qu’il en fut partisan dès 1962, cela est difficile à définir car la revue Pyrénées n’est pas un outil de masse. Alors peut-être une grande influence morale qui poussa la majorité des élus à aller parfois à l’encontre de leur électorat? Le climat général y poussait. La société techno-industrielle commence à changer d’attitude face à la nature.Le parc de la Vanoise date de 1963 ainsi que celui de Port-Cros, suivront les Cévennes en 1970, les Ecrins en 1973 et le Mercantour en 1979. La liste s’allongera jusqu’à nos jours.
Jean-Paul FRANTZ